Une pénurie de main-d’œuvre à plusieurs facteurs

 

Les entreprises ont probablement raison de se plaindre que l’aide financière offerte aux travailleurs par les gouvernements complique leur recherche de main-d’œuvre, estiment des experts, mais l’importance réelle de ce phénomène est encore difficile à estimer et s’avère sûrement moins grande que d’autres facteurs plus fondamentaux.

La récrimination est désormais bien connue. « Il faut s’assurer de libérer les barrières à la relance économique et soutenir les secteurs qui n’ont pas encore retrouvé leur pleine croissance », a déclaré le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec, Karl Blackburn, au début de la campagne électorale fédérale. La première de ces barrières qu’il avait citées comme exemples était cette Prestation canadienne de relance économique (PCRE) venue remplacer la mieux connue Prestation canadienne d’urgence (PCU) et dont il faudrait, selon lui, « restreindre l’accessibilité pour encourager le retour au travail ».

Très tôt durant la crise provoquée par la COVID-19, des entreprises et des économistes ont dit craindre que la trop grande générosité de l’aide offerte aux travailleurs ne les encourage à rester tranquillement chez eux plutôt qu’à se chercher un emploi. Ce discours n’a fait que prendre de l’ampleur à mesure que l’économie amorçait sa reprise et que de plus en plus d’entreprises se sont dites freinées dans leurs réouvertures par le manque de main-d’œuvre.

« Ce phénomène est probablement en train de se produire, mais il est encore trop tôt pour l’affirmer catégoriquement et il est extrêmement difficile d’en estimer l’impact réel », dit Simon Savard, économiste principal à l’Institut du Québec. Qu’on le veuille ou non, on est toujours dans la crise de la COVID et ses conséquences se font encore sentir sur l’économie québécoise et canadienne. »

« Bizarre »

En guise de dossier à charge contre l’aide gouvernementale, on note que celle-ci peut dépasser ce que gagne un travailleur à temps plein au salaire minimum et que cela explique sans doute pourquoi tant de petits commerçants, de restaurateurs et d’autres chefs d’entreprise ayant recours à de la main-d’œuvre peu qualifiée ont aujourd’hui du mal à trouver les employés nécessaires.

« C’est quand même bizarre qu’on assiste à une pareille pénurie de main-d’œuvre alors que le taux de chômage est encore relativement élevé », observe Matthieu Arseneau, chef économiste adjoint à la Banque Nationale. En juillet, presque 30 % des PME sondées par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) estimaient que la pénurie de main-d’œuvre non qualifiée entravait leur capacité de produire ou de vendre, alors que le taux de chômage au Canada était encore de 7,5 %. Or, dit-il, la dernière fois qu’on s’était autant plaint du manque de travailleurs, l’économie roulait à plein régime et le taux de chômage n’était que de 6 %. Et la dernière fois que le taux de chômage a été aussi élevé qu’aujourd’hui, il y avait moitié moins de PME (15 %) qui se plaignaient de la pénurie de main-d’œuvre.

Matthieu Arseneau admet volontiers que d’autres facteurs peuvent aussi être en cause. La crise n’a pas infligé les mêmes dommages selon le type de travailleurs, les secteurs d’activité et les régions. Il se peut qu’une partie de la main-d’œuvre disponible ne se trouve pas là où on en a le plus besoin. « Il faudra attendre encore quelques mois pour pouvoir se faire une idée plus juste de la situation », dit-il à son tour.

Surtout que les prestations de la PCRE doivent passer dans les prochains jours d’un maximum de 500 $ à 300 $ par semaine et que le programme doit prendre fin en novembre. « Déjà, à 300 $, on parle seulement de l’équivalent de 22 heures par semaine au salaire minimum. Ce n’est pas un montant astronomique », souligne Simon Savard.

Le problème de fond

« Non. Les faits sont têtus. Si l’on cherche les principales causes de l’actuelle rareté de main-d’œuvre, il faut regarder du côté de facteurs plus fondamentaux, à commencer par le vieillissement de la population, particulièrement au Québec », martèle l’économiste de l’Institut du Québec, qui a publié de nombreuses études sur le sujet.

On comptait encore 6,8 chômeurs par poste vacant au Québec en 2016. Cette proportion n’était plus que de 2,3 avant que la pandémie ne débarque dans nos vies, au début de 2020. La plus récente mesure disponible indique qu’on en était au même point au premier trimestre de 2021.

Le problème n’est pas également réparti. La proportion de postes vacants par rapport au nombre total d’emplois (taux de postes vacants) était de 4,2 % au Québec et de 4,5 % en Colombie-Britannique, comparativement à 3,3 % en Ontario et à 2,8 % en Alberta.

Au Québec, c’est dans les régions de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec (6,1 %) que le problème était le plus grave, suivies par la Capitale-Nationale (4,8 %), les Laurentides (4,7 %) et l’Outaouais (4,6 %), Montréal arrivant plus loin derrière (3,8 %). Les secteurs les plus touchés étaient celui des soins de santé et l’assistance sociale, avec seulement 0,6 chômeur par poste vacant, et ceux de la fabrication (1,8) et de la construction (2,3).

« Le problème n’est pas près de se régler », prévient Simon Savard, les plus récentes projections démographiques annonçant une diminution de la population âgée de 15 à 64 ans de 100 000 personnes d’ici dix ans. « Qu’est-ce que peuvent faire les petits commerçants et les restaurateurs dans ce contexte ? Améliorer, peut-être, leurs conditions de travail et essayer d’en refléter le coût sur leurs factures ? »

 

 

Source: Éric Desrosiers

https://www.ledevoir.com/economie/627534/emploi-une-penurie-a-plusieurs-facteurs

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